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La rhizophagie : comment les plantes dévorent les microbes avec leurs racines

Dernière mise à jour : 29 mars 2023

Depuis la révolution verte, la pensée dominante en matière de nutrition des plantes repose sur le principe que les plantes se nourrissent uniquement de nutriments inorganiques (donc de ions solubles dans l’eau du sol) tels que les nitrates ou les phosphates. Ces dernières années, la recherche a toutefois pu apporter la preuve que ce principe est erroné : les plantes valorisent via leurs racines des nutriments organiques voire même des molécules entières.


L'ère de la solution de nutriments inorganique, qui a permis à l'industrie agrochimique de réaliser d'énormes chiffres d'affaires, serait-elle donc révolue ?

James White, professeur de pathologie végétale à l'université Rutgers de New Brunswick (États-Unis), a énormément contribué à l'étude de ce qui est aujourd'hui connu sous le nom de cycle de la rhizophagie.



James White, université Rutgers


Le terme de la rhizophagie est issu du grec et signifie "racine qui mange". En effet, selon White, les plantes " gobent " des bactéries entières et les traient comme des vaches laitières. Mais comment cela fonctionne-il exactement ? Et que signifie le phénomène de la rhizophagie pour nos pratiques agricoles ?

Les racines avalent des microbes, les vident et les recrachent


L'exploitation des microbes symbiotiques dans les cellules racinaires, appelée cycle de la rhizophagie, est un processus récurrent au cours duquel les plantes reçoivent des nutriments de bactéries (et parfois aussi de champignons) symbiotiques non pathogènes. On appelle ces bactéries des endophytes (du grec, signifiant "qui se trouve à l'intérieur des plantes").


Très concrètement, le cycle de la rhizophagie fonctionne de la manière suivante : Tout d'abord, les endophytes se développent sur la racine de la plante dans une zone située en dehors du méristème apical (pointe de la racine où a lieu la division cellulaire, c'est-à-dire la croissance des racines). Dans cette zone, la plante sécrète des hydrates de carbone et d'autres substances nutritives et y "élève" les endophytes.


En dehors de la nourriture fournie par la plante, les bactéries absorbent également différentes substances nutritives du sol. Puis, à un moment donné, elles pénètrent dans les cellules du méristème apical et véhiculent toutes ces substances nutritives dans les plantes. Les endophytes s'installent alors dans les espaces périplasmiques des cellules racinaires, c'est-à-dire entre la paroi cellulaire et la membrane plasmique. C'est à ce moment qu'elles perdent leur paroi cellulaire et sont décomposées par oxydation, ce qui permet à la plante d’en extraire les nutriments (le fonctionnement détaillé de ce système de drainage des nutriments est encore en cours d’étude).


Mais tous les endophytes ne sont pas complètement décomposés : Les microbes ayant survécu à l'oxydation produisent de l'éthylène, une hormone végétale, et déclenchent ainsi la croissance des poils racinaires. C'est à l'extrémité de ces poils qu'ils ressortent de la plante et regagnent le sol. Ce faisant, ils renouvellent leur paroi cellulaire. Et les voilà prêts pour un nouveau cycle !

Le schéma ci-dessous illustre ce processus.



Représentation schématique du cycle de rhizophagie: Les microbes du cycle de la rhizophagie alternent entre une phase intracellulaire à l’intérieur d’une plante et une phase libre dans le sol : Les microbes pénètrent dans les cellules racinaires au niveau du méristème apical et quittent les cellules racinaires à l'extrémité des poils racinaires. Les éléments nutritifs du sol sont acquis dans la phase libre dans le sol et extraits par oxydation dans la phase endophytique intracellulaire (1A). 1B illustre des bactéries dans l'espace périplasmique entre la paroi et la membrane d’une cellule à proximité du méristème apical des racines d'un plant d'agave. 1C représente des bactéries qui sortent de l'extrémité d'un poil racinaire d'un germe d'herbe. Source : White et al. (2019)



Les endophytes épaulent les plantes à bien des niveaux


Les endophytes sont intrinsèques à la plante et sont transmis via les semences d'une génération de plantes à l'autre. Les endophytes sont donc présents sur toutes les plantes. Ils vivent avec elles dans la réciprocité : ils soutiennent la croissance de la plante et reçoivent en retour de la nourriture et de l'énergie via les exsudats racinaires de leur plante hôte. Selon J. White, les microbes endophytes fournissent une large gamme de services aux plantes :


  • Forts de leur capacité de sécrétion d'éthylène, ils améliorent la tolérance de leur plante hôte à divers types de stress oxydatifs - par exemple au stress hydrique, au stress thermique ou encore au stress climatique

  • Ils fournissent des nutriments à leur plante hôte, par exemple de l'azote et des oligo-éléments

  • Ils stimulent la croissance de leur plante hôte. En revanche, introduits artificiellement en tant qu'élément étranger (exogène) à une plante, ils peuvent ralentir la croissance de cette dernière voire provoquer sa mort

  • Ils protègent la plante de divers prédateurs en favorisant la fabrication d’alcaloïdes et d’autres substances répulsives par la plante elle-même

  • Ils colonisent et affaiblissent les champignons pathogènes, quitte à les transformer en endophytes dans certains cas

  • Ils favorisent le développement des racines de leur plante hôte


En bref : les endophytes sont de puissants acteurs qui modifient le métabolisme ou la composition chimique de la plante hôte et agissent sur les germes pathogènes.



Collaboration multifonctionnelle des racines et des microbes


Une plante avec un très bon développement racinaire est en mesure d'extraire davantage de nutriments du cycle de rhizophagie, car, comme nous l'avons vu, elle "dévore et digère" les micro-organismes uniquement via ses méristèmes racinaires.

D'après une étude menée sur des graminées, les endophytes ont fourni plus de 30% de l’azote consommé par la plante!


Comme nous l'avons également déjà mentionné, il est fascinant de constater que les endophytes sécrètent de l'éthylène. Celui-ci stimule d'une part la croissance des poils racinaires et permet d'autre part aux cellules racinaires de produire et libérer du superoxyde, c'est-à-dire de l'oxygène réactif (O2). Ce superoxyde est en mesure de fusionner avec du monoxyde d'azote, un autre élément issu de ce processus, pour se transformer en nitrate (NO3). Les cellules racinaires et les endophytes produisent donc à eux deux de la nourriture pour la plante.


Dernier détail intéressant : l'éthylène est réputé pour ses effets "régulateurs" sur le stress. Cette hormone augmente la résistance des plantes au divers stress oxydatifs tels que chaleur, salinité du sol, métaux lourds et même stress causé par le changement climatique (voir à ce sujet le blog "des cultures fortes grâce à la maîtrise du redox", publié très prochainement sur ce site).

Un nuage de bactéries autour du méristème apical où a lieu la colonisation intracellulaire. Source: White (présentation, 2021)


En l'absence de la rhizophagie, l'absorption de nutriments est réduite


Nous avons vu que le cycle de rhizophagie soutient énormément la santé des plantes. Ce cycle améliore la résistance et la tolérance au stress des plantes. En son absence, les plantes sont moins bien développées et plus vulnérables aux maladies et au stress.


Les microbes du cycle de rhizophagie influencent fortement le bon développement de la plantule : des expériences ont montré que non seulement ils déclenchent l'allongement des poils radiculaires, mais ils favorisent également la croissance des racines vers le bas (gravitropisme) et stimulent la ramification des racines ainsi que l'allongement des racines et des pousses. Des plantules sans endophytes forment moins ou pas de poils radiculaires et les jeunes pousses présentent une croissance anormale.


Lors de diverses expériences, la suppression artificielle du cycle de la rhizophagie chez les plantules a entraîné une diminution de l'absorption de phosphore, de potassium, de calcium, de soufre, de manganèse et de magnésium. On suppose en outre que le cycle de la rhizophagie joue un rôle clé dans l'absorption de micronutriments difficilement accessibles, tels que le fer, le cuivre et le zinc. Ceci s’expliquerait par le fait que les microbes disposent de mécanismes sophistiqués pour s'approprier efficacement les micronutriments ; qu'ils se déplacent avec une relative agilité dans le sol pour accéder aux nutriments ; et que les métaux adhèrent facilement aux parois cellulaires des bactéries endophytes en raison de différences de charge.



Les points bruns dans les poils radiculaires d'un plant de chiendent pied de poule (Cynodon dactylon) sont des bactéries endophytes intracellulaires pseudomonas. Source: White (Présentation, 2021)



La rhizophagie dans la pratique agricole Les endophytes jouent un rôle important pour la plante dans son adaptation à l'environnement, dans sa défense contre le stress biotique et abiotique et dans la mise à disposition de nutriments. Alors que les endophytes sont omniprésents dans les plantes et que le cycle de rhizophagie est un phénomène naturel qui se produit automatiquement, un sol sain avec une très bonne interaction entre les plantes, les microbes et la matière organique du sol favorise clairement ce processus.

Il faut donc - et ceci est le message le plus important - faire tout son possible pour que la communauté et l'activité microbiennes dans le sol et sur la plante ou la semence elle-même soient bien établies et puissent proliférer. En d'autres termes, il est essentiel de pratiquer une agriculture biologique, régénérative et bio-stimulante.


Comme de nombreux microbes sont impliqués dans le cycle de rhizophagie, un microbiome diversifié et sain sur la graine est très important. L'utilisation d'azote, d'engrais chimiques et de toutes sortes de produits agrochimiques ainsi que les processus de sélection végétale peuvent aboutir à une perte de microbes utiles chez les plantes cultivées. Cette perte se traduit souvent par une plus grande sensibilité aux maladies des variétés cultivées par rapport aux variétés sauvages et par conséquent par une plus grande dépendance envers les produits agrochimiques dans la production agricole.


Afin de ne pas détruire ou inhiber les microbes natifs sur les graines, il est donc essentiel de ne pas utiliser de semences stérilisées ou traitées chimiquement avec des substances antimicrobiennes, ni d'enlever les enveloppes supérieures de la graine.

A l'avenir, il pourrait être possible d'obtenir des microbes endophytes à partir de parents sauvages de plantes agricoles et de les réintroduire dans les cultures, par ex. en tant que traitement "endophytique" des semences.



Cycle de la rhyzophagie : une opportunité pour l'agriculture de demain


La croyance très répandue selon laquelle les microbes sur et dans les plantes seraient soit pathogènes, soit sans importance, a longtemps réduit à néant le rôle et l'importance des endophytes pour la santé des plantes. De même, cette croyance a empêché de mieux étudier et comprendre ces micro-organismes.


Des connaissances approfondies de la rhizophagie pourraient toutefois changer radicalement nos approches face aux pathologies végétales et à l'approvisionnement en nutriments des plantes. Des inoculations microbiennes d’endophytes pourraient-elles permettre de faire pousser des plantes agricoles plus résistantes aux stress climatiques ? Les endophytes pourraient-ils être développés à des fins phytosanitaires et utilisés comme "bio-herbicides" pour freiner la croissance des adventices ? Une augmentation supplémentaire de la teneur en dioxyde de carbone dans l'atmosphère pourrait-elle au contraire réduire l'efficacité du cycle de la rhizophagie (davantage de CO2 dans l'air supprime la production de superoxyde dans les racines et empêche ainsi l'extraction des substances nutritives des endophytes) ?


L'état actuel de la recherche nous permet déjà de jeter un regard un peu différent sur ce que nous " infligeons " au sol et au microbiome végétal dans le cadre des pratiques agricoles courantes. Qui sait - dans un avenir proche, les besoins en nutriments de nos plantes cultivées pourraient être (à nouveau) fournis à 100% par des micro-organismes utiles, et non - comme c'est encore si souvent le cas aujourd'hui - par de simples ions provenant d'engrais commerciaux.



Sources / links:









Formations:


Understanding Rhizophagy by James F. White. Cours en ligne, en anglais

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