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Quorum sensing : quand la collaboration microbienne renforce les plantes

  • ariannabisaz
  • 6 juin
  • 8 min de lecture

Comment se fait-il que l'épandage de quantités minimes de biostimulants, tels que le thé de compost, ait un effet aussi marqué sur la vitalité des plantes cultivées ? Comment expliquer que même des quantités infimes de ces biostimulants puissent déclencher des processus aussi puissants et bénéfiques pour les plantes?


La réponse est la suivante : les microbes peuvent se coordonner grâce à des signaux chimiques. Dès qu'ils sont suffisamment nombreux, ils commencent à agir comme un super-organisme - renforçant ainsi la santé des plantes, les fonctions du sol et la résilience de l'ensemble du système agricole. Ce mécanisme de détection et de réaction à la densité est appelé le quorum sensing.

Christine Jones est une biologiste du sol australienne et l'une des principales voix dans le domaine de la santé des sols. A ses yeux, le quorum sensing est le processus central permettant d'expliquer pourquoi les pratiques régénératives sont très efficaces, malgré de très faibles quantités d'intrants.



Les microbes sont des joueurs d'équipe


Qu'il s'agisse du cycle des nutriments, de la croissance des plantes, des mécanismes de défense contre divers pathogènes ou de la résilience face au dérèglement climatique, ce sont les microbes qui sont majoritairement responsables de toutes ces fonctions du sol - et de bien d'autres encore. Les bactéries, les archées, les champignons, les protozoaires, les algues et même les virus font partie de cette vaste catégorie des microbes.


Pour que les microbes puissent « travailler » efficacement, il faut toutefois qu'ils soient suffisamment nombreux. Tant que leur population reste faible , une grande partie de leurs capacités ne se manifestent pas. Les micro-organismes isolés ne peuvent pas activer certains gènes ou comportements essentiels à une collaboration optimale entre eux.


Les microbes communiquent entre eux via des signaux biochimiques, appelés des auto-inducteurs. Dès qu’une quantité suffisante de microbes ou de ces signaux de communication est atteinte - c'est-à-dire un seuil biochimique - les microbes adaptent leur activité génétique - la leur ou celle de l'hôte (plante, animal, homme) dans lequel ils vivent. Selon la situation, ils développent alors de nouvelles propriétés, comme par exemple la virulence, c’est-à-dire la capacité à devenir pathogène.


Ce phénomène est appelé le quorum sensing. Le terme vient de l'anglais : un « quorum » désigne un groupe capable de prendre des décisions grâce à un nombre prescrit de membres ou de voix exprimées ; quant à « to sense » , cela signifie sentir ou percevoir. L'objectif principal de ce mécanisme est de faciliter la survie des microbes. 



Quorum sensing et quorum quenching


Le quorum sensing est donc un mécanisme fondé sur la densité des microbes, rendu possible par un échange constant de signaux chimiques entre ces micro-organismes. Il permet aux microbes d’agir comme un collectif. Ce phénomène a été découvert dans les années 1960 chez de bactéries marines bioluminescentes qui n’émettent de lumière (des photons) qu'à partir d'une certaine densité cellulaire.


Lorsque les microbes communiquent entre eux et agissent de manière coordonnée, ils parviennent également à interagir avec d'autres espèces et à accomplir des tâches généralement réservées aux organismes complexes (pluricellulaires). Cette intelligence collective leur permet de se défendre contre les agents pathogènes ou de les attaquer avec précision, de former des biofilms assurant protection et stabilité, de soutenir les plantes de manière ciblée ou encore de gérer ensemble des situations de stress extrême, comme des épisodes de sécheresse ou des inondations. Toutes ces capacités des organismes unicellulaires reposent sur la coopération microbienne fondée sur le quorum.


Le quorum quenching (de l'anglais « to quench », signifiant dissuader, étouffer) est le phénomène inverse du quorum sensing : certains microbes perturbent ou bloquent les signaux d'autres microbes, empêchant ainsi le déclenchement de certains comportements collectifs.

A gauche, une situation avec un faible nombre de cellules et une faible concentration de messages chimiques. Les microbes ne sont pas encore actifs en tant que groupe coordonné. À droite, la densité de cellules et de substances de signalisation est nettement plus élevée. Le quorum déclenche une modification de l'expression des gènes - rendue visible par le changement de couleur des cellules de l'orange au bleu (image: Akademie Aktuell).


En milieu naturel, le quorum sensing et le quorum quenching se produisent simultanément, tant entre groupes de microbes qu'entre microbes et hôtes - dans l'eau, sur terre, dans et sur les plantes, dans le sol ainsi que dans et sur les animaux et les hommes (notamment dans leurs intestins). Ce « comportement social » basé sur le quorum est considéré comme la norme dans le monde des microbes. Les plantes y participent également en produisant des substances qui stimulent ou inhibent les réactions microbiennes régulées par le quorum des microbes.



Exemples de quorum sensing dans les sols


Les bactéries forment des colonies sur les surfaces, appelées biofilms. Ces biofilms créent un environnement protecteur qui leur permet de mieux résister à des stress extérieurs tels que la sécheresse ou les substances antibactériennes.

Les biofilms se forment autour des racines des plantes dès que celles-ci sécrètent suffisamment d'exsudats racinaires.


Ainsi, les microorganismes adhèrent particulièrement bien aux surfaces telles que les racines des plantes, les particules du sol ou la matière organique en décomposition. Nous apprécions les racines enveloppées de terre (voir images). En revanche, dans une machine à thé de compost difficile à nettoyer, les biofilms posent un sérieux problème.

Photo de gauche : L'épandage de N et P, de fongicides ou d'insecticides à proximité d'une graine en train de germer inhibe la formation d'un microbiote rhizosphérique performant. Les plantes semées dans un sol amendé d’engrais chimiques se retrouvent avec des racines nues. Par conséquence, il n'y aura ni protection contre les ravageurs et maladies, ni formation de sol. La plante continuera à dépendre des intrants chimiques. Photo de droite : les racines d'une plante semée directement dans un sol vivant (sans engrais chimiques) sont entourées de terre. L’enrobage se produit grâce au quorum sensing des microbes et permet de créer un milieu protecteur et formateur de sol. Il s'agit ici aussi d'une illustration de la manière dont le contact des microbes avec les êtres vivants supérieurs est régulé à travers le quorum sensing.


Les organismes pathogènes expriment leur virulence via le quorum sensing - il est en effet difficile de vaincre une troupe bien coordonnée de bactéries qui lancent une attaque simultanée. Les micro-organismes de la rhizosphère utilisent le quorum sensing pour réguler les relations symbiotiques, comme la fixation de l'azote par les rhizobiums ou l'acquisition collective de nutriments. Certains microbes utilisent à leur tour des substances actives de quorum quenching (p. ex. des antibiotiques) pour désactiver le quorum sensing de leurs adversaires.


Par ailleurs, le quorum sensing confère une autre capacité aux microbes : La faculté d’intégrer dans leur génome des molécules d'ADN disponibles dans le milieu environnant, leur permettant ainsi d’évoluer sur le plan génétique.



Intégrer ce phénomène dans notre façon de penser et d'agir


Il convient de prendre en compte le phénomène de quorum sensing dans notre pratique agricole. Ce mécanisme est essentiel au bon fonctionnement et à la résistance des communautés végétales, non seulement face au stress biotique (ravageurs et maladies), mais aussi pour favoriser la santé et la résistance aux stress abiotiques tels que la sécheresse, le gel ou les carences nutritionnelles.


Les pratiques telles que les cultures de couverture multi-espèces, les cultures intermédiaires, la rotation des cultures ainsi que l'absence d'engrais chimiques, de pesticides et autres «interférences» constituent des outils importants pour régénérer la biomasse et la diversité microbiennes.

Dr Christine Jones, l'une des plus grandes spécialistes des sols : « Une couverture du sol diversifiée tout au long de l'année est le facteur le plus important pour préserver ou reconstruire la santé du sol » (Image : « Soil Tour » zVg).


Selon Christine Jones, la présence d'une couverture végétale diversifiée tout au long de l'année soutient l’activité microbienne de plusieurs façons et constitue le facteur le plus déterminant pour préserver ou restaurer la santé des sols. En outre, une graine saine introduite dans la terre apporte son propre microbiome de plusieurs milliards de micro-organismes par graine et contribue à construire le milieu microbiologique autour de la racine.


Toujours selon Christine Jones, le quorum sensing permet également d'expliquer pourquoi les biostimulants améliorent la santé des plantes, même à très faibles concentrations : les signaux biochimiques qu’ils émettent imitent la diversité et la densité microbiennes caractéristiques d’un microbiome actif.


Les signaux biochimiques font croire à la plante qu'elle pousse dans un environnement idéal, entourée de nombreux alliés microbiens sur lesquels elle peut compter. En réponse, elle produira davantage de composés stimulant sont développement ainsi qu’une large gamme de phytohormones, ce qui se traduira par une croissance accélérée et une santé renforcée. 



Conclusion


Le quorum sensing n’est pas seulement un processus biochimique fondamental, c’est aussi une clé pour libérer le potentiel de l'agriculture régénérative. Et une illustration parfaite à quel point le travail avec la nature peut aboutir à un système agricole à la fois durable et productif.


Le revers de la médaille est que rien ne se passe s'il n'y a pas assez de microbes ou de types de microbes. Que ce soit dans le sol ou dans l'organisme hôte, si les populations microbiennes n'atteignent pas le quorum, certains gènes essentiels – nécessaires, par exemple, au bon fonctionnement du système immunitaire – peuvent rester désactivés. Et c'est précisément ce qui semble se produire de plus en plus souvent aujourd'hui : dans les sols, chez les plantes, les animaux et les humains, avec des conséquences notables sur leur santé - et la nôtre.


De nombreux paysages agricoles modernes ont été tellement simplifiés que nous ne réalisons plus à quel point leur productivité pourrait être accrue à partir de systèmes plus diversifiés, fondés sur le fonctionnement en quorum. Pour Christine Jones, le quorum sensing est le processus clé qui permet d’expliquer de manière convaincante les résultats spectaculaires observés dès lors que la diversité microbienne dépasse un seuil critique et commence à agir comme un super-organisme coordonné.

Une racine de plante provenant d'un sol fertilisé avec du NPK recouvert d'une épaisse couche de compost. La partie inférieure des racines qui se trouvait dans le sol fertilisé est nue. En revanche, la partie supérieure qui se trouvait dans le compost a été colonisée par les microbes (source de l'image : No-till on the Plains 2019 Christine Jones Community Tipping Points, 40:03).


Le système agricole qui domine actuellement s'est mis en place progressivement au fil du temps. Il a l'avantage d'être bien établi et relativement facile à mettre en œuvre. Sans cela, il serait probablement considéré comme illégal - voire criminel (selon les propos de John Kempf).


Il faudra qu'un quorum - de véritables personnes ! - reconnaisse ces faits pour que nous puissions réellement commencer à régénérer nos systèmes agricoles.

Dans le meilleur des cas, un beau jour, nous nous souviendrons de notre passé et nous nous demanderons comment il se fait que nous nous soyons comportés de manière si contre-nature et destructrice.




Bibliographie & sources

Christine Jones (2019): Quorum Sensing in the Soil Microbiome (article)

Creating a Flourishing Soil Microbiome, Christine Jones (vidéo, 2023)

Hyun Gi Kong, Geun Cheol Song, Choong-Min Ryu (2019):Inheritance of seed and rhizosphere microbial communities through plant–soil feedback and soil memory (article scientifique)

Bakterien verstehen: Mikrobielle Kommunikation. Akademie Aktuell 1.2017 (article)

Helge B. Bode (2017): Bakterien: Lauschangriff mit tödlichen Folgen (article)

Lessons from Dr. Christine Jones – Reflections at Her Retirement (article, 2024)

Community Tipping Points, Christine Jones (vidéro, 2019)


 
 
 

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