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L'eau, l'humus et le climat



Pensez-vous que nos épisodes de sécheresse récurrents ou nos pluies torrentielles sont la conséquence du changement climatique, c'est-à-dire d'un taux trop élevé de dioxyde de carbone dans l'air ? Et que nous les agriculteurs-trices devrions stocker plus de carbone dans le sol afin de sauver le climat ?

Le stockage systématique et à grande échelle du carbone dans les sols est en effet très important. Mais, comme nous le verrons dans ce blog, pas en premier lieu afin de soutirer du carbone de l'air et de nous aider par ce faire à regagner gentiment une concentration de dioxyde de carbone "sûre"d’environ 350ppm.

Non, cet enrichissement du sol en carbone est très important parce qu'il permet au sol d’augmenter sa teneur en humus et, par voie de conséquence, de retrouver sa structure "d’éponge". Un sol riche en humus pète la forme et est en mesure de remplir ses diverses fonctions qui conditionnent la vie sur terre. Mais permettez-moi d'expliquer les choses un peu plus en détail.



Des cycles perturbés


Le consensus règne dans les milieux scientifiques autour du fait que deux tiers de la dynamique thermique naturelle de la terre sont déterminés par l'eau, un gaz à effet de serre. La vapeur d'eau présente dans notre atmosphère fait office de tampon thermique, et sans elle, notre planète serait trop froide pour y vivre. Les changements de phase de l'eau - de solide à liquide, de liquide à gaz et dans le sens inverse - constituent un système extraordinaire de transfert de chaleur : la vapeur d'eau emmagasine de l'énergie en "chaleur latente" par évaporation et la restitue en "chaleur sensible" par condensation. L'eau doit peut être considérée à juste titre comme le régulateur thermique majeur de notre terre.


Et c'est cette immensité même du rôle de l'eau dans la régulation du climat sur terre qui a amené certains scientifiques à conclure que l'homme ne pouvait pas l'influencer et qu'il valait mieux se focaliser sur d'autres gaz à effet de serre, comme, entre autres, ce fameux dioxyde de carbone. Mais l'hydrologue slovaque Michal Kravčík, spécialiste qui étudie l'impact des modifications du cycle de l'eau sur le réchauffement climatique (et non pas, comme c'est l'usage, l'impact du réchauffement climatique sur l'eau !), nous détrompe.


Alors que les mers et les océans sont la clé de la thermorégulation globale de notre planète – constituant le grand cycle horizontal de l'eau - le petit cycle vertical de l'eau, où l'évaporation, les précipitations et l'infiltration/le ruissellement se produisent dans une zone étroitement délimitée, joue un rôle clé pour un climat local stable.



Le phénomène de "l'eau verte »


Il est fort intéressant de constater que souvent l'eau ne change pas de son état liquide à sa forme gazeuse par elle-même. Une grande partie de ce mouvement de transformation est déterminé par la biologie, et plus particulièrement par les plantes. Promenez-vous dans une prairie luxuriante ou un champ bien cultivé recouvert d’un épais tapis de plantes. C'est là que l'énergie solaire est transformée en vapeur d'eau par les végétaux, ces derniers transpirant des litres et des litres sous le soleil intense. Cette énergie solaire empaquetée dans l’eau d’évaporation est "dispersée" dans l’environnement sous forme de chaleur latente. Quel plaisir de sentir cet air rafraichi !




L'action conjuguée du soleil et de la plante constitue un mécanisme de refroidissement efficace pour l'environnement. Il est important de souligner ici que cette eau qui a traversé le végétal ne doit en aucun cas être considérée comme perdue. Bien au contraire, l'eau dite "verte" constitue une sorte de "réservoir d'eau céleste" et se révèle être un élément indispensable au petit cycle de l'eau. L'évapotranspiration des plantes recharge ce réservoir en permanence et c’est ce dernier qui nous comblera d'une douce averse à un moment donné. Sans "réservoir d'eau céleste", pas de petit cycle de l'eau. Les experts sont d’ailleurs unanimes sur ce point : l’évapotranspiration de la végétation représente la part du lion de l'humidité qui s'élève des continents jusque dans l'atmosphère sous forme de rivières verticales de vapeur d'eau. Seule une petite partie serait due à la simple évaporation des terres ou des eaux, sans intermédiaire végétal.



Réservoir du sol hors service


Les activités humaines telles que la déforestation à grande échelle, la dégradation des terres et l'urbanisation ont radicalement modifié les mouvements de l'eau dans son cycle – au point d’influencer le climat local. Selon une étude pointue, seuls 3 % des écosystèmes mondiaux seraient encore totalement intacts. Lorsque le soleil tape sur un sol sec et nu - et c'est désormais la réalité d'un quart de la surface du globe selon la journaliste environnementale Judith Schwarz - l'énergie solaire est absorbée par celui-ci et transformée en chaleur sensible.

Ou encore, lorsque le sol dégradé a perdu sa porosité et, par conséquent, sa capacité à retenir l'eau, des quantités massives d'eau de pluie - qui s'infiltraient dans le sol par le passé et s'évaporaient à nouveau dans l'atmosphère - sont perdues par les continents. En effet, au sein de la matrice du sol, une partie d'humus peut retenir en moyenne quatre parties d'eau. Et chaque diminution de 1% de carbone dans le sol représente une perte de plus de 50'000 litres d'eau par hectare. À cela s'ajoute le fait que d'énormes surfaces ont été bâties et que toute notre infrastructure est conçue de manière à retirer la quasi-totalité de l'eau de pluie le plus rapidement possible des cycles hydrologiques locaux en l’évacuant droit vers les canaux, fosses et autres systèmes de drainage – plutôt que la faire infiltrer à niveau local.


Nous pouvons donc constater qu'une grande partie de notre planète a été privée de sa capacité à réguler la température, car tant le volume d'eau de pluie dans le sol que la transpiration par les plantes ont fortement baissé. Une terre dégarnie est "nue, affamée, assoiffée et fiévreuse" a l'habitude de souligner l'expert américain Ray Archuleta. Nous en vivons déjà les conséquences : une énorme quantité de chaleur s'accumule dans l'atmosphère, qui surchauffe et se décharge en provoquant des phénomènes météorologiques extrêmes.


De nombreux experts estiment aujourd'hui que le réchauffement climatique est dû en grande partie à un dysfonctionnement du cycle de l'eau (et donc de l'énergie). Comme décrit ci-dessus, ce dysfonctionnement est imputable à la gestion catastrophique de nos sols.



90% des fonctions du sol sont contrôlées par la biologie – à condition que le sol soit en forme


Nous pouvons déduire à l'inverse qu'il est réellement possible d'agir sur le petit cycle vertical de l'eau et la dynamique thermique locale par notre gestion du sol. Selon la scientifique américaine Kristine Nichols, spécialiste des sols, la matière organique du sol et les organismes qui y vivent contrôlent 90 % des fonctions du sol, notamment les cycles du carbone, de l'azote et du phosphore, la fixation et la mobilisation de la plupart des nutriments et le cycle de l'eau.


Si nous apportons du carbone dans le sol, c'est-à-dire si nous le revitalisons de manière ciblée, nous pouvons faire redémarrer les différentes fonctions du sol. Il faudra dans ce cas veiller à ce que la biologie du sol soit maintenue en bonne santé. Et pour que la biologie du sol se porte bien, elle a besoin d'un milieu approprié : de quoi se nourrir, de l'eau et un toit, c'est-à-dire les pores du sol.


Munis de cette compréhension des fonctions du sol, les agriculteurs-trices qui favorisent la formation d'humus pourront réduire assez rapidement les symptômes locaux du changement climatique et atténuer les années de récolte difficiles qui en sont partiellement la conséquence.



Le sol, clé de notre bien-être

Il n'y a probablement que peu de processus naturels essentiels à notre bien-être (voire même à notre survie) qui ne se déroulent pas dans ou à travers le sol. Comme il est expliqué dans ce texte, l'influence de l'être humain sur le sol est considérable et actuellement principalement négative. L'être humain est toutefois en mesure d’agir favorablement sur les développements à venir.


Il est temps pour nous, agriculteurs-trices, de passer à l’action. Il est primordial de fixer le dioxyde de carbone de l'air, fondamentalement une ressource du sol, pour que nos terres retrouvent une santé. Et comme les processus naturels ne fonctionnent pas isolés les uns des autres, chaque mesure favorisant la formation d'humus engendrera des avantages à plusieurs niveaux.


Une couverture végétale permanente transforme l'énergie solaire en chaleur latente, maintient le sol à l'ombre et au frais, le protège de l'évaporation, protège les agrégats du sol en cas de fortes pluies, active la biologie du sol grâce aux exsudats des racines des plantes, favorise ainsi la formation d'agrégats du sol et la constitution d'humus, ce qui améliore à son tour l'infiltration de l'eau, etc.


Si nous considérons le changement climatique en tant que "cycle de carbone, d'eau et d'énergie perturbé", alors nous pouvons contribuer à rétablir ces processus défaillants chez nous, au niveau local, grâce à une gestion adaptée et ciblée du sol. Nous atténuerons ainsi non seulement les phénomènes météorologiques extrêmes, mais favoriserons également la croissance des réserves d'eau, optimiserons le bilan hydrique et énergétique de nos terres, et préserverons ainsi notre climat local.


Sources / links (en anglais):



Damian Carrington (2021): Just 3% of world’s ecosystems remain intact, study suggests www.theguardian.com/environment/2021/apr/15/just-3-of-worlds-ecosystems-remain-intact-study-suggests (téléchargé le 24.4.2021)



Dr. Christines Jones, www.amazingcarbon.com


Michal Kravčík, www.waterparadigm.org



Judith Schwarz (2017): There’s another story to tell about climate change. And it starts with water. www.theguardian.com/commentisfree/2017/apr/03/climate-change-water-fossil-fuel?CMP=share_btn_fb (téléchargé le 24.4.2021)


Judith Schwarz (2019): Water in Plain Sight. Hope for a Thirsty World


Jon Stika (2016): A Soil Owner’s Manual. How to Restore and Maintain Soil Health



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